Alors que nombreux sont ceux qui se demandent si le capitalisme allait finir par mourir, d’autres se posent des questions plus métaphysiques. Or ce qui intéressaient vraiment autant les patrons, les ouvriers, les intellectuels et les économistes était l’avenir-même du capitalisme : allait-il survivre ou sa mort était-elle déjà programmée ?
Selon que l’on soit anti-capitalisme ou pro-capitalisme, forcément on voit les choses différemment, dont la réponse à la question elle-même. Evidemment Marx prédisait la chute incontestable du système capitaliste, il le voyait même s’effondrer tout seul, comme un château de cartes, victime de ses propres contradictions.
De l’autre côté l’économiste Thomas Piketty prophétisait son immortalité, dans son essai Le Capital du XXème siècle. Un utopiste du nom de Kuznets établissait la théorie d’une croissance infinie profitant à tous : mais ça c’était dans les années 50. En gros, chacun y allait de son pronostic selon le camp dans lequel il était.
Le capitalisme : un horizon ultime ?
C’était certainement sans compter la chute du mur de Berlin qui mit un terme brutal à la grande controverse des 150 dernières années. Le capitalisme, fidèle à la démocratie libérale devenait alors l’horizon suprême de toute destinée humaine. Tandis qu’aujourd’hui on ne peut que constater l’étouffement voire l’agonie de la social-démocratie, les altermondialistes sont surpris à dévaler les pentes des prestigieuses stations de ski de Davos.
On aurait pu penser que la crise de 2008 aurait eu raison du capitalisme mais au contraire : le voilà qu’il se renforce plus que jamais et ce, de tous les côtés, même les plus improbables. En voici la cause (d’après Larousse s’il-vous-plaît) : ce « système économique et social fondé sur la propriété privée des moyens de production et leur mise en oeuvre par des travailleurs qui n’en sont pas propriétaires » a gagné, faute de concurrents.
Comme le dit, tristement, l’économiste Michel Beaud, il se pourrait bien que les sociétés humaines et le capitalisme forment désormais « un ensemble inextricable ». Oui, mais voilà : moins d’un an après la chute du Mur de Berlin, l’informaticien britannique Tim Berners-Lee invente le World Wide Web. Le monde s’apprête alors à entrer de plain-pied dans la civilisation Internet. Les matières-premières, la main d’oeuvre, ainsi que le capital nécessaire au financement du système voient alors leur part dans la richesse globale diminuer inexorablement.
Le capitalisme cognitif : fossoyeur du capitalisme traditionnel ?
Comme toujours, le capitalisme épouse les révolutions techniques de son temps. Avec la navigation, il a fait prospérer l’Europe du commerce, tournant le dos à l’ancienne société féodale et agricole. Avec la vapeur, il a industrialisé la planète. Avec l’informatique, il recouvre le monde d’une couche immatérielle de connectivité, ce qui fait dire au philosophe Eric Sadin que « la révolution numérique est achevée ». (L’Humanité augmentée). C’est cette bifurcation dans l’histoire du capitalisme qui nous intéresse ici : le capitalisme cognitif sera-t-il, selon le terme de Yann Moulier Boutang, le fossoyeur du capitalisme traditionnel ?
L’hallucinant bond en avant technologique va-t-il changer la nature même du système ? Comment mieux rémunérer la masse exponentielle de données personnelles exploitées par les géants du Net ? Quel sera l’avenir de ces géants : Google, Facebook, Amazon, Apple ? Et enfin, dans quelle mesure les valeurs du Web peuvent-elles déteindre sur le capitalisme ?